L'ère de la prohibition passive
Le décret interdisant la cigarette dans les lieux publics est paru le jeudi 16 novembre au Journal Officiel, la mesure prenant effet à compter du 1er février 2007, avec toutefois un sursis accordé aux cafés, tabacs et restaurants jusqu'au 1er janvier 2008 afin que ces établissements puissent adapter leurs structures. Ainsi, la loi Evin qui était majoritairement demeurée virtuelle reprend corps et semble appelée à bénéficier d’une volonté politique plus assurée que par le passé.
La nouvelle était connue, elle est donc désormais dûment inscrite dans la paperasse républicaine. Sur le territoire, la grogne des cafetiers s’organise, tandis que la majeure partie de l’opinion publique applaudit et que les premiers intéressés s’empressent de s’en griller quelques-unes pendant qu’il en est encore temps, l’espace de cette impunité qui bientôt prendra fin.
Quelques-uns parmi les plus frondeurs, bien sûr, s’insurgent et en appellent au respect de la liberté individuelle,intronisée sainte patronne des enfumeurs pour l’occasion.
Mais quels que soient les motifs d’indignations invoqués, qu’il s’agisse de la mort annoncée de la convivialité du bistrot de quartier, du manque à gagner ou de l’atteinte à la liberté que peut constituer cette mesure, le bon sens le plus élémentaire nous intime d’y souscrire, excepté si l’on entend dénier à autrui le droit de ne pas subir les conséquences d'un danger dont il a toujours entendu se préserver.
Entre le danger sanitaire et l’enjeu financier, l’Etat semble donc avoir fait son choix, en optant pour l’application du principe de précaution étendue à l’ensemble des lieux publics. A priori, la raison nous commande de féliciter une telle prise de position.
Comment expliquer alors qu’un sentiment de malaise diffus puisse persister autour de cette interdiction ? Peut-être les causes d’un tel trouble sont elles moins à rechercher dans le bien fondé d’une telle interdiction que dans le bruit médiatique qu’elle suscite, dans ce vacarme dont on ne peut douter que l’intensité est à la mesure de ce qui ne doit pas être entendu, de cette profusion des discours qui est une autre forme de silence.
En l’occurrence, c’est donc dans l’absence de critique qu’il faut déceler la faille. Et celle-ci est abyssale, à la mesure de l’incohérence qui prévaut désormais dans toute mesure prise sous les auspices d’une légitimité incontestable. En effet, dans ce domaine comme tant d’autres, la noblesse de la cause a éclipsé la raison.
Car cette interdiction de la cigarette dans les lieux publics, si elle contribuera selon toute vraisemblance à réduire considérablement les dommages imputables au tabagisme passif, risque fort de se révéler d’un effet infinitésimal chez les premiers concernés, fumeurs qui représentent à ce jour près d’un quart de la population adulte.
Or, si l’Etat est à ce point soucieux de s’acquitter de ses obligations en matière sanitaire, comment expliquer qu’une telle mesure, dont les effets sur les fumeurs ne sont que supputés – les autorités politiques estimant sur la base du rapport Morange que l’interdiction entraînera mécaniquement une baisse de la consommation individuelle – ne s’accompagne pas d’une action dirigée sur la source même du risque sanitaire, à savoir les manufactures de tabac elles-mêmes. Faut-il en déduire que le motif de santé publique légitime à lui seul l’ingérence étatique dans un comportement individuel mais qu’il devient inopérant face à un comportement économique ?
A l’heure où l’Union européenne est à même de normaliser les productions agricoles et d’imposer des seuils quantitatifs, où elle édicte des normes de sécurité toujours plus contraignantes, comment ne pas douter alors de l’authenticité de la volonté politique en matière de santé publique.
Car si la santé publique est effectivement devenue cet impératif étatique, si le tabac doit désormais faire l’objet d’une attention si particulière, on serait en droit d’attendre un acte politique fort à l’attention du lobby du tabac, notoirement connu pour accentuer la nocivité de ses produits à dessein de s’assurer l’addiction de sa clientèle.
Dans l’attente d’une telle décision, les prérogatives régaliennes de l'Etat continueront de s’effacer devant les lobbys, tandis qu’elles reprennent tout leur empire sur le citoyen "ordinaire", qui se prépare sans tout à fait s’en rendre compte d’entrer à inaugurer l'ère de la prohibition passive.
La nouvelle était connue, elle est donc désormais dûment inscrite dans la paperasse républicaine. Sur le territoire, la grogne des cafetiers s’organise, tandis que la majeure partie de l’opinion publique applaudit et que les premiers intéressés s’empressent de s’en griller quelques-unes pendant qu’il en est encore temps, l’espace de cette impunité qui bientôt prendra fin.
Quelques-uns parmi les plus frondeurs, bien sûr, s’insurgent et en appellent au respect de la liberté individuelle,intronisée sainte patronne des enfumeurs pour l’occasion.
Mais quels que soient les motifs d’indignations invoqués, qu’il s’agisse de la mort annoncée de la convivialité du bistrot de quartier, du manque à gagner ou de l’atteinte à la liberté que peut constituer cette mesure, le bon sens le plus élémentaire nous intime d’y souscrire, excepté si l’on entend dénier à autrui le droit de ne pas subir les conséquences d'un danger dont il a toujours entendu se préserver.
Entre le danger sanitaire et l’enjeu financier, l’Etat semble donc avoir fait son choix, en optant pour l’application du principe de précaution étendue à l’ensemble des lieux publics. A priori, la raison nous commande de féliciter une telle prise de position.
Comment expliquer alors qu’un sentiment de malaise diffus puisse persister autour de cette interdiction ? Peut-être les causes d’un tel trouble sont elles moins à rechercher dans le bien fondé d’une telle interdiction que dans le bruit médiatique qu’elle suscite, dans ce vacarme dont on ne peut douter que l’intensité est à la mesure de ce qui ne doit pas être entendu, de cette profusion des discours qui est une autre forme de silence.
En l’occurrence, c’est donc dans l’absence de critique qu’il faut déceler la faille. Et celle-ci est abyssale, à la mesure de l’incohérence qui prévaut désormais dans toute mesure prise sous les auspices d’une légitimité incontestable. En effet, dans ce domaine comme tant d’autres, la noblesse de la cause a éclipsé la raison.
Car cette interdiction de la cigarette dans les lieux publics, si elle contribuera selon toute vraisemblance à réduire considérablement les dommages imputables au tabagisme passif, risque fort de se révéler d’un effet infinitésimal chez les premiers concernés, fumeurs qui représentent à ce jour près d’un quart de la population adulte.
Or, si l’Etat est à ce point soucieux de s’acquitter de ses obligations en matière sanitaire, comment expliquer qu’une telle mesure, dont les effets sur les fumeurs ne sont que supputés – les autorités politiques estimant sur la base du rapport Morange que l’interdiction entraînera mécaniquement une baisse de la consommation individuelle – ne s’accompagne pas d’une action dirigée sur la source même du risque sanitaire, à savoir les manufactures de tabac elles-mêmes. Faut-il en déduire que le motif de santé publique légitime à lui seul l’ingérence étatique dans un comportement individuel mais qu’il devient inopérant face à un comportement économique ?
A l’heure où l’Union européenne est à même de normaliser les productions agricoles et d’imposer des seuils quantitatifs, où elle édicte des normes de sécurité toujours plus contraignantes, comment ne pas douter alors de l’authenticité de la volonté politique en matière de santé publique.
Car si la santé publique est effectivement devenue cet impératif étatique, si le tabac doit désormais faire l’objet d’une attention si particulière, on serait en droit d’attendre un acte politique fort à l’attention du lobby du tabac, notoirement connu pour accentuer la nocivité de ses produits à dessein de s’assurer l’addiction de sa clientèle.
Dans l’attente d’une telle décision, les prérogatives régaliennes de l'Etat continueront de s’effacer devant les lobbys, tandis qu’elles reprennent tout leur empire sur le citoyen "ordinaire", qui se prépare sans tout à fait s’en rendre compte d’entrer à inaugurer l'ère de la prohibition passive.